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Le rêve de la France Antarctique

Suite à la lecture du formidable livre de Jean de Lery, "Histoire d'un voyage faict en la terre de Brésil" (non, non, il n'y a pas de faute d'orthographe, c'est du vieux français...), je ne résiste pas à l'envie d'introduire une nouvelle campagne, que je jouerai avec des règles adaptées de Chaos in Cairo, mêlant conquistadores portugais, colons français et Tupis cannibales ! C'est la naissance du Brésil.

Le dessin secret

Depuis le début du XVIème siècle, la rumeur court que les Portugais auraient découvert une terre plus à l'ouest, où ils se ravitaillent sur la route de l'Inde et d'où ils importeraient une partie de leur bois de braise, servant à obtenir un pigment rouge pour teintures et peintures. Ces rumeurs sont rapidement confirmées par l'envoi d'une expédition, menée par le navigateur et cartographe Guillaume Le Testu, qui reconnaît les côtes du Brésil pour la France en 1551. Interdite d'établissement par le traité de Tordesillas qui partage le nouveau monde entre Espagnols et Portugais, la France doit se contenter d'envoyer ses corsaires intercepter les flottes adverses sur la route des Indes.

L'un d'eux est le protestant Nicolas Durand de Villegagnon, devenu vice-amiral de Bretagne après avoir réussi à débarquer secrètement en Ecosse pour ramener Marie Stuart à la cour, en vue de ses fiançailles avec le dauphin François (futur François II). Celui-ci parvient à convaincre Gaspard de Coligny de disputer le partage des côtes du Brésil avec les Portugais en implantant une colonie durable sur place, chose que les Portugais commencent à peine à réaliser. Coligny, encore catholique, espère également que cette colonie pourra être un exutoire où les protestants français seront libres d'exercer leur religion, épargnant ainsi peut être à la France d'être déchirée dans une guerre civile. C'est en ce sens que le projet sera présenté au roi de France, Henri II.

A la fin 1554, Villegagnon reçoit 10000 livres tournois du roi, pour « certaine entreprise que ne voullons estre cy aultrement speciffiée ne declairée », afin de mener à bien cette expédition secrète. C'est ainsi que débute le rêve d'une France Antarctique. S'appuyant sur les armateurs de Dieppe, dont certains connaissent déjà la côte brésilienne, comme Jean Ango, Villegagnon parvient à obtenir trois navires. Mais les volontaires manquent, aussi est-il obligé de parcourir les prisons et de promettre la liberté à ceux qui s'engagent dans l'expédition pour rassembler suffisamment de colons. Après un faux-départ le 12 juillet 1555, où une tempête empêche les navires de prendre le cap, la flotte appareille le 14 août du Havre, emmenant à son bord près de 600 personnes.

L'établissement des colonies

Après une traversée mouvementée, ponctuée de combats aux Canaries et à Tenerife contre Portugais et Espagnols, Villegagnon arrive en vue des côtes du Brésil le 10 novembre 1555. Explorant la côte, comme l'on fait les Portugais cinquante ans avant elle, l'expédition touche terre cinq jours plus tard, dans un site propice à son installation, la baie de Guanabara, que les Portugais nomment Rio de Janeiro. En trois mois, avec l'aide des indigènes, des logements, un temple et des fortifications sont construits. La colonie prend le nom de Fort Coligny. Elle est implantée sur l'île de Serigipe (aujourd'hui encore nommé « île Villegagnon » par les brésiliens), à l'intérieur de la baie de Guanabara, et dispose de cinq batteries de canons pointées vers la mer.


Vue actuelle de la baie de Guanabara

Annonçant le succès de l'implantation, Villegagnon demande au roi l'envoi de renforts, notamment de soldats professionnels pour tenir le fort face aux Portugais, mais également de femmes et d'ouvriers spécialisés. Cependant, sur place, la situation n'est pas aussi stable que Villegagnon le laisse paraître. En effet, l'île où il est installé est dépourvue d'eau douce et de possibilités d'approvisionnement en nourriture. La maladie et l'isolement poussent déjà certains colons à vouloir retourner en France. Le vice-amiral lui-même voit son autorité remise en cause et est victime d'une conjuration. Par ailleurs, les pratiques, notamment anthropophages, des indigènes Tupinambás sont en décalage complet avec les mœurs européenne et l'acclimatation est difficile. Le découragement et l'indiscipline deviennent un problème évident, aussi Villegagnon fait parvenir à Coligny un courrier lui demandant également l'envoi de plusieurs pasteurs dans la colonie.

Mais, heureusement pour Villegagnon, le commerce avec la métropole se développe. Plusieurs naufragés normands (les truchements) sont retrouvés parmi les indigènes et permettent de faciliter les échanges. Vers la fin 1556, le vice-amiral est même en mesure d'installer une seconde colonie, sur la terre ferme, pour en faire un comptoir d'échange de bois brasil avec les indigènes, colonie qui prend le nom d'Henriville. A la même époque, le 19 novembre 1556, part de Honfleur une seconde expédition de trois navires, emmenant à son bord 300 nouveaux colons, dont six jeunes filles et deux pasteurs. Cette expédition est conduite par Bois-le-Compte, neveux de Villegagnon. Ne pouvant se ravitailler aux Canaries, l'eau et les vivres sont obtenus en attaquant les navires espagnols et portugais croisés en chemin. L'expédition arrive à Fort Coligny le 7 mars 1557.


Carte de la baie de Guanabara (vers 1555)

Dissensions religieuses

Malgré l'arrivée des ministres du culte, les rivalités entre catholiques et protestants s'intensifient dans Fort Coligny. En octobre 1557, Villegagnon se dispute avec les pasteurs au sujet des sacrements. Reconverti au catholicisme, il rétablit le culte romain et expulse les protestants sur le continent, où ils vivent au milieu des indigènes et apprennent leur culture. Mais leur situation est délicate, les mœurs et les coutumes Tupinambás fascinent les protestants autant qu'elles les écœurent. Ils s'embarquent finalement pour la France sur un bateau venu prendre chargement de bois le 4 janvier 1558.


Les Tupinambás célèbrent leur victoire sur l'ennemi (vers 1620)

Durant l'année 1558, le vice-amiral s'efforce à éliminer les derniers protestants de sa colonie. Ceux qui ne partent pas, comme le pasteur Pierre Richer, sont exécutés. Mais la colonie ne compte plus qu'une centaine d'habitants et aucun renfort ne vient de France. Résolu à aller plaider lui-même la cause de son établissement au Brésil, Villegagnon confie le commandement de Fort Coligny à son neveu et rentre en métropole. Son objectif : obtenir de Coligny une escadre de sept navires, afin d'intercepter les flottes portugaises et de s'emparer des colonies que ceux-ci commencent à établir sur le continent.

Car la situation politique sur place a changé. Le troisième gouverneur général du Brésil, Mem de Sá, est bien décidé à faire appliquer à la lettre le traité de Tordesillas, aussi commence-t-il à rassembler des navires et des troupes, afin de refouler les "pirates français" venus s'installer dans la baie de Rio de Janeiro. Fort Coligny est directement menacé. Cependant, en France, le 10 juillet 1559, Henri II meurt et les grands du royaume se déchirent au sujet de la religion. Coligny, convertit au protestantisme, demande à Villegagnon d'expliquer son attitude envers les colons. Quant aux seigneurs catholiques, ils sont trop occupés à préparer la guerre pour accorder au vice-amiral le nécessaire pour sa colonie. Pourtant, en Flandre, plus de 700 émigrés attendent de pouvoir se rendre en France Antarctique.

La fin de la France Antarctique

Il est de toutes façons trop tard. Au même moment, Edouard de Costa vient reconnaître les fortifications de la colonie française et ses défenses pour la flotte portugaise. Le 15 mars, une escadre de 11 navires, dont deux vaisseaux de guerre, et 2000 hommes, menée par Mem de Sá, arrive en vue de Fort Coligny et un ultimatum est adressé au Français. Les défenseurs se retranchent dans le fort avec 800 guerriers Tupinambás alliés et, grâce à la géographie tourmentée du lieu, empêchent les Portugais d'accoster. Mem de Sá est obligé de réclamer du renfort, notamment des barques pour pouvoir approcher de l'île, mais aussi des indiens Mamalucos, habitués à se battre contre les Tupinambás.


Illustration de l'attaque de Mem de Sa sur Fort Coligny (1567)

Sur place, les Français ont aménagé leurs fortifications à même le roc et parviennent à repousser les assaillants. Un moment découragé, Mem de Sá envisage d'ordonner la retraite, mais se ravise et concentre ses forces à tenter la prise des magasins ennemis. Après deux jours et deux nuits de lutte, les Portugais parviennent à s'emparer de ce point stratégique. Privés de leur approvisionnement, les Français quittent l'île à la faveur de la nuit. Devant les pertes subies et par crainte du retour de Villegagnon avec des renforts, le gouverneur portugais ne peut occuper l'île. Après en avoir retiré l'artillerie, il fait raser les fortifications et repart pour le Portugal.

Ce n'est qu'en 1567 que Estácio de Sá, neveu de Mem de Sá, s'appliquera à expulser définitivement les Français de la baie de Rio de Janeiro. Le 6 février, alors qu'il effectue une reconnaissance dans la baie, il est assaillit par des français et des indigènes, montés à bord de canots. Un de ses navires débarque alors sur l'île de Villegagnon, où son équipage se retrouve assaillit par les Tupinambás. Finalement, le 1er mars, il débarque sur une petite plage entre le Pain de Sucre et le mont Cara de Cão. Il y installe immédiatement une ligne de défense et fonde la ville de São Sebastião do Rio de Janeiro. C'est la fin du rêve de la France Antarctique et la naissance du Brésil.




02/03/2009
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